La petite ville des grands rêves
L'auteur du best-seller La Vie selon Ove livre un nouveau roman éblouissant et puissant sur l'histoire d'une petite ville aux grands rêves, et sur le prix à payer pour les réaliser.
Tard dans la nuit, à la fin du mois de mars, un adolescent s’empara d’un fusil de chasse à double canon, se dirigea droit dans la forêt, braqua l’arme sur le front d’une autre personne que lui et pressa la détente. Ceci est le récit des événements qui nous ont menés jusque-là.
Présentation de l'éditeur
Un roman palpitant et émouvant qui pose des questions qui nous préoccupent tous : Comment protéger ceux que nous aimons ? Que veut dire être une famille ? Qu'est-ce qui nous unit ? Qui pouvons-nous croire et pour qui sommes-nous prêts à mentir ?
Ursa est une petite ville recluse à la lisière d'une immense forêt suédoise.
La plupart de l'année, elle est recouverte d'une épaisse couche de neige, plongée dans un froid et une obscurité qui rapprochent ses habitants – ou bien les éloignent.
Soumises à ce rude climat, la population et les activités ne cessent de diminuer. Mais, cette année, la ville est sur le point de vivre un étonnant renouveau : l'équipe junior de hockey sur glace, sur laquelle tous les espoirs reposent, va jouer son match le plus important de l'année. L'excitation est palpable. Un futur prometteur se dessine... jusqu'au jour où la star de l'équipe commet un acte violent et irréparable qui met tout en péril. La population est divisée : faut-il se taire et oublier, ou bien tout risquer pour rendre justice ?
Lorsque l'avenir d'une ville se trouve en jeu, personne ne peut rester en retrait et être neutre. Tout le monde doit prendre parti. Et vous, de quel côté seriez-vous ?
Extrait
Bam-bam-bam-bam-bam.
Nous sommes au début du mois de mars à Ursa ; il n’est encore rien arrivé. C’est vendredi, et tout le monde attend. Demain, l’équipe junior d’Ursa Hockey joue en demi-finale de la meilleure série du pays. C’est si important que ça ? Non, bien sûr. Sauf ici.
Bam. Bam. Bam-bam-bam.
Ursa se réveille tôt, comme chaque jour. Les petites villes ont besoin d’une longueur d’avance pour ne pas se laisser piétiner. Les voitures alignées sur le parking de l’usine sont déjà couvertes de neige, les gens font la queue en silence, yeux entrouverts et consciences mi-closes, afin que leurs badges magnétiques prouvent leur présence à la pointeuse horaire. Ils secouent la neige fondue de leurs bottes, regard sur autopilote et voix de répondeur, en attendant que leur drogue – caféine, nicotine ou sucre – commence à agir et maintienne leurs corps en un état de marche assez acceptable jusqu’à la première pause.
Au-dehors, d’autres personnes prennent la route pour se rendre au travail dans des villes plus grandes, au-delà de la forêt ; les gants tambourinent sur le chauffage d’appoint, accompagné de jurons qu’on a le droit de proférer seulement ivre, à l’agonie, ou dans une Peugeot frigorifiée très tôt le matin.
Quand elles se taisent, elles peuvent entendre : bam-bam-bam. Bam. Bam.
Maya se réveille dans sa chambre, entre les murs décorés de dessins au crayon et de tickets de concerts où elle s’est rendue dans des endroits éloignés, bien moins qu’elle le souhaiterait certes, mais bien plus que ses parents avaient autorisé. Elle joue de la guitare en pyjama dans son lit. Elle adore l’instrument dans ses moindres aspects. Le poids sur son corps, la réponse du bois qu’elle tapote du bout des doigts, les cordes qui lui scient la peau encore engourdie. Les notes simples, les riffs doux, un son divin. À quinze ans, elle a déjà eu de nombreux coups de cœur, mais la guitare sera toujours son premier amour. Sa musique l’a aidée à s’accommoder de cette ville, et à être la fille d’un manager de club de hockey au milieu de la forêt.
Elle déteste ce sport, mais comprend la passion de son père. C’est comme une autre sorte d’instrument. Sa mère lui souffle souvent à l’oreille : « Ne fais jamais confiance à une personne qui n’a aucune passion incontrôlable. » Sa mère aime un homme qui, lui, aime un lieu qui aime un sport. C’est une ville de hockey, et on a beau dire ce que l’on veut sur les gens d’ici, au moins, ils sont fiables. On sait à quoi s’attendre. Jour après jour après jour.
Bam.
Ursa n’est proche de rien. Même sur une carte, l’endroit semble irréel. « À croire qu’un géant bourré a essayé d’écrire son nom en pissant dans la neige », diraient certains. « Comme si la nature et les hommes se disputaient l’espace depuis l’aube du monde », préféreraient sans doute les plus modérés. Quoi qu’il en soit, voilà longtemps que la ville n’est plus gagnante. Le travail est rare, alors avec les années, les hommes se raréfient aussi, et la forêt engloutit à chaque saison sportive une ou deux maisons désertées. À l’époque où elle avait encore des raisons d’être fière, la municipalité avait fait installer à l’entrée du lieu un panneau avec un de ces slogans en vogue : « Bienvenue à Ursa – Nous voulons un peu plus ! » Le vent et la neige avaient mis quelques années à effacer les mots « peu » et « plus ». Parfois, la situation tient de la dissertation de philosophie : si une ville sombre dans la forêt mais que personne ne s’en aperçoit, est-ce grave ?
Pour répondre à cette question, il faut parcourir les quelques centaines de mètres en direction du lac. La bâtisse ne paie pas de mine, mais c’est une aréna. Bâtie il y a quatre générations par des hommes qui trimaient six jours par semaine à l’usine et avaient besoin d’une motivation pour tenir jusqu’au septième. Elle est leur legs ; tout l’amour que cette ville est capable de dégeler et de transmettre a toujours été concentré sur ce jeu : glace et bande, lignes rouges et bleues, crosses, et jusqu’à la dernière once de volonté et de force des jeunes corps qui filent comme des flèches après les palets. Chaque week-end, année après année, les gradins sont combles, bien que les performances du club se soient effondrées au même rythme que l’économie locale. Peut-être justement pour cette raison : tous espèrent que, lorsque le club remontera, le reste suivra.
Voilà pourquoi, dans les endroits comme celui-ci, l’espoir repose toujours sur les jeunes : eux seuls ne peuvent se souvenir que c’était mieux avant. C’est parfois une bénédiction. Alors les juniors ont développé leur équipe comme les générations précédentes ont construit leur ville : en travaillant dur, en encaissant les coups, sans se plaindre, en fermant sa gueule et en montrant aux enfoirés des grandes villes d’où ils viennent.
Il n’y a pas grand-chose à voir par ici. Mais tous ceux qui sont déjà venus savent que c’est une ville de hockey.
Bam.
Amat a presque seize ans. Sa chambre est si exiguë que dans un appartement plus grand, dans le quartier friqué d’une grande ville, elle aurait tout juste fait office de dressing. Le papier peint disparaît sous les posters de joueurs de la LNH, à deux exceptions près : la première est une photo le montrant à sept ans, les mains glissées dans des gants trop grands, un casque lui tombant sur le front ; il est le plus petit de tous les garçons sur la glace. La seconde est une feuille de papier blanc où sa mère a recopié une prière. À la naissance d’Amat, elle l’avait serré contre son cœur, dans le lit étroit d’un petit hôpital de l’autre côté de la terre. Tous deux seuls au monde. Une infirmière lui avait murmuré une prière à l’oreille que mère Teresa aurait inscrite au-dessus de sa couche : la soignante espérait qu’elle apporterait forces et espoir à cette femme isolée. Près de seize ans plus tard, le papier est encore accroché au mur, les mots dans un ordre approximatif, notés tels qu’elle s’en souvenait :
« Qui est honnête peut être abusé par les autres. Sois honnête quand même.
« Qui est gentil peut être calomnié par les autres. Sois gentil quand même.
« Tout le bien que tu fais aujourd’hui peut être oublié demain par les autres. Fais-le quand même. »
Chaque nuit, Amat dort avec ses patins de hockey juste à côté de son lit. « Tu es né avec, aime plaisanter le vieux gardien de l’aréna. Ta mère a dû en baver quand elle a accouché. » Il a proposé au garçon de les laisser dans un casier de la réserve, mais ce dernier aime bien les transporter à l’aller et au retour. Les avoir près de lui.
Dans toutes les équipes où il a joué, il a toujours été le plus petit, il n’a jamais eu les muscles des autres, n’a jamais frappé le palet aussi fort. Mais personne dans cette ville ne peut l’attraper : aucun adversaire à ce jour ne l’a battu niveau vitesse. Il n’arrive pas à l’expliquer. Cela doit fonctionner un peu comme quand certaines personnes ne voient dans un violon qu’un tas de bois et de chevilles, tandis que d’autres voient de la musique. Les patins de hockey ne lui ont jamais causé de sensation d’étrangeté. C’est dans des chaussures normales qu’il se sent semblable à un marin mettant un pied sur la terre ferme.
Les dernières lignes manuscrites de la prière disent ceci :
« Tout ce que tu construis, les autres peuvent le détruire. Construis quand même. Car, en fin de compte, c’est une affaire entre toi et Dieu, jamais entre toi et les autres. »
Et juste en dessous, au crayon cire rouge, dans l’écriture sincère d’un enfant de primaire :
« ILS DISEN QUE JE SUIS TROP PETIT POUR JOUÉ. DEVIEN 1 GRAND JOUEUR QUAND MÈME ! »
Bam.