Mission et calvaire de Louis Favre
Louis Favre, prêtre, fut passeur de documents pour les services de renseignements français et suisses ainsi que passeur d'hommes depuis l'établissement où il enseignait et qui jouxtait la frontière genevoise. Durant toute la guerre jusqu'à son arrestation et à son exécution à quelques semaines de la libération, il mélangea allègrement charité et désobéissance à sa hiérarchie, enseignement et implication totale dans la Résistance française.
Ce livre nous plonge dans le quotidien de la frontière genevoise pendant la Seconde Guerre mondiale : trafic intense de documents et d'hommes des deux côtés de la frontière; d'un côté, la ville d'Annemasse, plaque tournante du renseignement allié et, de l'autre, la ville de Genève, avec ses espions de tous horizons...
Il relate une histoire vraie, soutenue par des documents de première main issus des archives des missionnaires et des archives de la Résistance. Il était temps de rendre Louis Favre à la lumière.
Cet ouvrage s'adresse aux lecteurs s'intéressant à la vie quotidienne de la région franco-genevoise pendant la Seconde Guerre mondiale, aux services secrets français et suisses et à la gestion des réfugiés juifs par les autorités du canton de Genève. Il interpelle également chacun de nous : comment se fabrique-t-on un destin ?
Extrait
Départs
Louis Adrien Favre est né le jour des morts, le 2 novembre 1910, dans un hameau de Bellevaux, commune de montagne pauvre et catholique de Haute-Savoie. Il est le troisième enfant d'une famille paysanne qui en compte quatre.
A Bellevaux la montagne ne s'impose pas, elle écrase. Elle est partout, le village coule contre la pente, s'accroche sur les flancs rocheux; la maison de la famille Favre se trouve à l'écart du village, coincée contre la pente couverte de forêt, enterrée à hauteur de fenêtre du côté de la cuisine. Le four à pain et la grosse cuisinière à bois mangent la moitié de la surface de la pièce où l'on vit, la chambre possède une fenêtre qui contemple la montagne : tout le monde y dort, les parents et les quatre enfants. Un couloir sombre sépare la partie habitation de l'étable ; au-dessus du plafond de planches, le foin réchauffe la maison l'hiver.
En face, sur le flan de la montagne, une clairière qui fait bien trois cents mètres de long permet de faire provision de foin et sert de pâture aux bêtes. Derrière la ferme, sur l'autre versant, de petites surfaces en herbe mais très difficiles d'accès, très pentues, complètent les réserves.
Une vie rude, une terre rare, qui se dérobe à l'équilibre du faucheur.
Joseph Favre a acheté quatre vaches à crédit pour tenter de sortir de la misère mais la guerre éclate, il est incorporé dans le 27e bataillon de chasseurs alpins en août 1914. Entre ce moment et celui de sa disparition sur le front d'Alsace, il n'aura droit qu'à deux permissions.
Juillet 1917.
Un militaire accompagne le maire, Marie Favre est debout dans l'embrasure de la porte, elle ne dit rien, ne leur offre pas à boire, elle pose le papier bleu sur la table.
La vie continue, fil instable entre misère et pauvreté, aidée par la ferveur de la prière avant la soupe du matin et celle du soir.
Tous les dimanches, comme la quasi-totalité de la population de Bellevaux, la famille Favre se rend à la messe. Tous les dimanches, comme beaucoup d'autres familles, elle s'arrête devant le monument aux morts, devant le nom du père inscrit sur l'obélisque. Les quatre enfants et leur mère font une courte prière et un signe de croix puis entrent dans l'église qui s'emplit de noir au moment de la messe.
Souffrance individuelle mais partagée, deuil personnel et expérience de masse.