L'Assassin à la pomme verte

Prix du Premier roman 2012
Auteur : Christophe Carlier
Editeur : Serge Safran éditeur

Craig et Elena se croisent au bar du Paradise, un palace. Un sentiment obsédant fait d'agacement et d'attirance naît entre eux, sous l'oeil impitoyable du réceptionniste, Sébastien. Au lendemain de leur arrivée, un mari volage et volubile est retrouvé assassiné. Cette fiction où amour et meurtre tendent à se confondre mêle les voix de ces personnages, chacun épiant son voisin.

15,00 €
Parution : Août 2012
192 pages
ISBN : 979-1-0901-7505-1
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Extrait

Craig

C'est après la descente d'avion, après les formalités et les désagréments d'usage, quand j'ai pu enfin prendre place dans un taxi, que j'ai vraiment eu le sentiment d'être en France. La voiture allait vite. Je me suis retrouvé dans Paris où m'attendait, immuable, la poésie des choses usées, la pierre des immeubles aux angles arrondis et la trompeuse courtoisie des passants sous laquelle affleurent par instant des pointes de sauvagerie.
Le décalage horaire m'avait plongé dans une douceur pâteuse. Pendant quelques minutes, je me suis senti envahi par la bienveillance. Le fait n'est pas courant. Mon lot ordinaire est plutôt une sourde colère contre mes semblables, dont je me dis que ce sera probablement le dernier sentiment que j'éprouverai. Sur le lit de douleur où me cloueront tuyaux, sangles et perfusions, je m'agacerai encore de la lenteur d'une soignante, de la respiration d'un voisin, de l'écho interminable d'une conversation dans le couloir.
Le chauffeur s'est arrêté devant le plus grand palace de la rive droite, le Paradise, où l'on m'avait réservé une chambre. J'étais invité à Paris par plusieurs institutions dont les largesses combinées aboutissaient à cette façade noble protégeant un hall bruissant d'activité feutrée. On mesure à certains détails que la vie passe et qu'on recevra désormais plus d'égards qu'on n'en mérite. Cette toute petite défaite, qui porte également le nom de réussite sociale, m'a tenu compagnie tandis que je m'engouffrais dans le tourniquet, entre les hommes d'affaires imposants, les touristes fortunés et les belles étrangères occupées d'elles-mêmes.

A la réception, j'ai été accueilli par un jeune homme aux yeux clairs et aux longues mains blanches, qui m'a d'emblée parlé en anglais. L'accent était bon et le ton très juste, ménageant un partage égal entre politesse et indépendance. Le personnel des grandes maisons ne s'abaisse pas pour vous servir. Dans les phrases du réceptionniste, la courtoisie et l'indifférence se donnaient la réplique. Je vous parle et je vous ignore, je suis là et pas là, avec vous et sans vous. Un être poli comme une statue de marbre en qui une petite flamme humaine s'éclairait et s'éteignait, alternativement.
Le garçon d'ascenseur m'a demandé si j'avais fait bon voyage, puis si j'étais content d'être à Paris. Que faire, sinon tenir le rôle attendu du touriste subjugué par la capitale ? Dans un français pataud, j'ai répondu très agréable, vraiment, et bien content d'être là, tout en me demandant ce que ça pouvait lui foutre. Pourquoi ne préférait-il pas, comme moi, le silence aux banalités ? Quand je suis arrivé au quatrième étage, ils m'avaient déjà exaspéré, lui, sa bonne humeur et son air sournois.

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