Lazare attend
Depuis toujours, Lazare maintient mordicus qu'il n'a jamais été ressuscité et que cette histoire n'était qu'une farce de son ami le rabbi Yeshua. Quand d'étranges visiteurs l'invitent à bord d'un fabuleux vaisseau mécanique dirigé par un automate à tête de crocodile, Lazare embarque pour une aventure dans l'espace et dans le temps avec un objectif : réhabiliter le judaïsme accusé d'avoir assassiné le Christ, et favoriser l'arianisme lors du fameux concile de Nicée.
Du New York des années 1960 où il découvre le cinéma et la pornographie, aux Saintes-Maries-de-la-Mer où il dépose Marie de Nazareth, Marie Salomé et Marie Magdalene, à Rome, à Carthage à Byzance ou à Nicée, ses péripéties rocambolesques, servies par la culture encyclopédique de l'auteur, revisitent l'Ancien et le Nouveau Testament comme l'histoire du christianisme avec humour et tendresse. On se souviendra particulièrement d'un ballet de Salomé scandé par le texte du Cantique des Cantiques.
Un grand roman de Morrow mêlant ses différentes passions, l'histoire du cinéma, la satire religieuse et historique et un certain goût pour l'uchronie.
Extrait
Bien qu’on puisse considérer le fait d’avoir été ressuscité par Jésus-Christ lui-même comme l’expérience la plus importante d’une vie, ce n’était pas le cas de Larry Ben-Zarus de New York city, connu sous le nom de Lazare de Béthanie dans la légende et les mythes. Car le miracle en question, si miracle il y a eu (Larry en doutait), marquait le début de ses aventures, un voyage qui l’avait finalement amené à la cuisine de l’enfer de Manhattan en l’an 1962 de notre ère, aussi loin de la Palestine d’Hérode Antipas qu’un Juif du premier siècle pouvait espérer naviguer sans devenir fou.
Né prince, circoncis par le meilleur mohel de Judée, élevé par des parents aimants et gâté par deux sœurs aînées (qui le considéraient comme leur poupon de chair et de sang), il était arrivé à New York sous la forme d’un homme séduisant et athlétique de quarante-trois ans, la peau olivâtre brûlée par le soleil de la Méditerranée et tannée par les embruns saumâtres qui avaient salé ses voyages. Au début, le maelström de Manhattan l’avait submergé, catapultant son esprit dans des milliers de directions à la fois. À chaque fois qu’il s’aventurait dans les rues tapageuses, il retournait invariablement se coucher pour passer le reste de la journée à pleurer, vomir et étouffer. Mais, avec le temps, il avait fini par assimiler ces innombrables assauts de sa santé mentale – les chariots autopropulsés, les torches dépourvues de flammes, les escaliers mouvants, les bâtiments plus hauts que la Tour de Babel, les caravanes souterraines fonçant à travers des tunnels sombres – et ces phénomènes étaient devenus des sources d’émerveillement et de plaisir.
Il composait mentalement, au cours de ses vagabondages, des passages pour son autobiographie, Les Mémoires du Prince Lazare de Béthanie, voyageur du temps et devin auprès de Constantin le Grand. Le titre n’était pas une vaine fanfaronnade car Larry avait réellement passé les années entre 312 et 324 à fournir des conseils et des prophéties à l’Empereur romain qui ébranlerait le monde. Larry était convaincu que sa vie au quatrième siècle – avec ses fuites in extremis, ses escapades de boudoir, ses batailles épiques et ses traîtrises politiques – pouvait donner un bon livre. Quand vint Yom Kippour, il avait déjà une centaine de pages composées en latin sur une demi-douzaine de blocs-notes.
S’il avait parlé l’anglais, l’espagnol, l’italien ou le yiddish, Larry se serait peut-être orienté sans effort dans son nouvel environnement, mais il ne connaissait vraiment que le latin et l’araméen (ainsi que l’hébreu cérémoniel qu’il avait appris au premier siècle à Jérusalem). Il commença donc à fréquenter un cinéma sordide de la 42e rue, en vue d’absorber la langue de son pays d’adoption. Bien que la plupart de ces lieux ne présentaient que des films pour adultes – Tous les hommes sont des singes, Les sales manières de Wilma, Les bites de Tom et Harry – une demi-douzaine projetaient des spectacles tout public d’un genre différent. Alors que l’environnement de ces classes d’un autre genre n’était pas vraiment fait pour l’apprentissage, Larry refusait de se laisser distraire par les effluves d’alcool, d’urine, de tabac et de vomi. Heure après heure, il restait assis dans le noir et fixait l’écran, acquérant le dialecte urbain grâce à des films de gangsters, une diction plus élitiste par les drames historiques, la terminologie médiale dans les films d’horreur et l’énonciation cultivée de Cary Grant.
New York en 1962 était un endroit où la vie était chère, pourtant il ne sentit jamais la morsure de la privation car il était arrivé muni d’une bourse contenant vingt pièces d’or et soixante pièces antiques. Convaincu que les numismates du centre ville essaieraient de l’arnaquer, il les sermonna de son plus beau grognement à la James Cagney : « N’essayez pas de me duper, sinon... » Et ainsi Larry put payer le loyer de son appartement de la 38e rue ouest. Il s’habilla chez Macy’s, engagea les meilleurs précepteurs pour remplir les trous dans son anglais d’Hollywood, s’offrit des places aux premiers rangs de comédies musicales à Broadway (comme Camelot, Comment réussir en affaire sans vraiment essayer et Le Forum en folie avec son évocation surprenante et avérée de la Rome antique), s’acheta des grands crus et visita les meilleurs restaurants bien que son adresse favorite resta le delicatessen du coin, le Bistro d’Eden de Sol Greenberg sur la 40e rue ouest, dont le menu vantait : « des saumons fumés à en mourir, des latkès à en faire rire un ange, des blintzes tels que Dieu en mange pour Chavouot. »