Monsieur Minus

Auteur : Laurent Graff
Editeur : Le Dilettante

Bertrand Le Marec, unique héritier de la première fortune de France, consacre tout son temps à la marche à pied, loin des affaires. Il est assisté de Martial, ancien infirmier militaire et ex-taulard, qui s’occupe avec soin de la logistique. D’une randonnée à l’autre, les deux compères vont d’hôtel en maison d’hôtes, parcourant ainsi campagnes, vallons et bords de mer sur plusieurs centaines de kilomètres. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais nous ne sommes pas dans le meilleur des mondes.

15,00 €
Parution : Septembre 2020
160 pages
ISBN : 979-1-0308-0018-0
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Extrait

Bertrand Le Marec mesurait 1,76 m et aimait la marche à pied. Il allait sur les chemins d’un pas régulier et délié, comme s’il pédalait, adaptant son braquet à l’inclinaison du terrain. Il avait le goût de la monotonie, des longues campagnes tranquilles. Le matin, la rosée fonçait ses chaussures couleur sable ; l’après-midi, le soleil et le vent tannaient sa peau hérissée de poils blonds. Il avait deux yeux bleus incrustés dans le visage et une micropuce dans le bras.
Il marchait tous les jours, parcourant des distances allant jusqu’à trente, parfois trente-cinq kilomètres. Il ne cherchait pas la performance sportive, à battre des records. Ce qui l’intéressait, c’était la continuité dans l’effort. Il atteignait, dans l’exercice de la marche, des états seconds, ou plutôt premiers. Il voyageait en grâce. Par tous les temps.
Aujourd’hui, par exemple, le temps était au brouillard. Un brouillard si dense qu’il était difficile de dire, comme ça, à l’œil, où l’on se trouvait au juste. On n’y voyait pas à plus de trente mètres, soit un champ de maïs à droite et les premières vagues d’une prairie à gauche, le chemin en ligne droite au milieu. Au-delà, c’était le flou nébuleux, pas vraiment l’incertitude, car le même paysage, imaginait-on facilement, se continuait, avec sans doute quelques variantes de saison, betterave à sucre, pomme de terre – le colza avait déjà été récolté il y a peu. Dans une région agricole, en tout cas, étions-nous, à coup sûr. Peut-être la Brie, Provins non loin.
Faut-il préciser que nous étions fin août, début septembre? Un tel brouillard à cette époque de l’année était chose rare. Bertrand ne s’en étonnait pas. De manière générale, il se contentait de constater le réel d’un coup d’œil enregistreur – tiens, il y a du brouillard ce matin – sans creuser ou se poser de questions. Il aurait pu aussi neiger. Il était facile à vivre. D’aucuns auraient ajouté : « Plat, il est un peu plat ». Les membres du conseil d’administration, entre eux : « Il est un peu con, non? »

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