Ferenczi et moi
Lionel Lecoeur s’en est allé gîter haut dans l’arbre généalogique de sa femme, faire retraite dans l’histoire vibrante et poignante de la famille des éditeurs Ferenczi. Il nous la narre non avec la sécheresse d’un érudit débitant son fichier, mais sur un mode romanesque vibrant et émouvant, à la cadence d’une saga familiale tout en ombres et lumière.
Extrait
Il suffit de regarder quelques-unes de ses couvertures ou d’écouter le témoignage d’un directeur d’éditions populaires de l’époque pour se persuader que l’esthétisme n’est pas sa première préoccupation. Pour alpaguer le lecteur, il faut « des enluminures, où les bleus, les jaunes, les rouges surtout, éclatent avec violence. Point de paysages, ou de tableaux, si beaux qu’ils soient ; mais une scène dramatique et horrifiante, où les gens soient en péril de mort. »
Avec des auteurs de bas étage, passe encore, mais avec Colette... Il a peur de la décevoir, voire de la perdre. L’écrin n’est pas à la hauteur de la perle. Colette n’est pas un auteur comme les autres. Outre qu’elle bénéficie d’un contrat en bonne et due forme qui lui garantit des droits d’auteur, elle est un objet de convoitise. Tous les éditeurs de Paris la courtisent. En sus, elle attire les talents et nombre d’écrivains qui se refusaient à Joseph lui font à présent les yeux doux. Soucieux de la conserver, Joseph la nommera directrice de collection chez Ferenczi.
Et puis Colette, c’est le génie, le diamant brut. Une personnalité hors normes, féministe bien avant l’heure, une écriture déliée, des mots ciselés, ouverts à toutes les effusions prodigieuses. Sido est l’un des plus grands livres de la littérature, au même titre qu’À l’ombre des jeunes filles en fleur ou Voyage au bout de la nuit.
« L’écrivaine la plus célèbre de l’histoire de la littérature française », comme dit la superproduction où Colette est interprétée par Keira Knightley.
Tout dormait dans un bleu originel, humide et confus.
Colette s’est démenée pour ce livre : « Hier, cuite de travail : de 2 heures après-midi à minuit, en prenant vingt minutes pour dîner; j’en suis idiotifiée aujourd’hui, c’est bien fait », avant de conclure : « J’ai beaucoup travaillé pour Ferenczi ici, le froid aidant. »